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Francis Dolarhyde dut quitter le territoire familier de son laboratoire à Gateway pour trouver ce qu’il cherchait.

Dolarhyde était chef de fabrication du plus important département de Gateway  – celui du traitement des films d’amateur  – mais il y avait quatre autres départements.

La récession des années 1970 avait porté un coup très dur au marché du film d’amateur et la concurrence de la vidéo se faisait de plus en plus effrénée. Gateway dut donc diversifier ses activités.

La société créa des services chargés de repiquer les films sur des bandes vidéo, d’imprimer des clichés aériens et de proposer un service » sur mesure » aux réalisateurs professionnels travaillant en super-8 et en 16.

En 1979, Gateway décrocha un formidable contrat. La société signa un accord avec le ministère de la Défense et le ministère de l’Energie pour créer et tester de nouvelles émulsions destinées aux pellicules à infrarouges.

Le ministère de l’Energie avait besoin de pellicules sensibles aux infrarouges pour étudier la conservation de la chaleur. Celui de la Défense, pour les reconnaissances de nuit.

Gateway avait donc acheté fin 1979 une petite usine toute proche, la Baeder Chemical, et y avait installé ses nouveaux labos.

Dolarhyde se rendit à la Baeder à l’heure du déjeuner ; le ciel était couvert et il évita soigneusement le reflet des plaques d’asphalte. La mort de Lounds l’avait mis d’excellente humeur.

Tous les employés de la Baeder semblaient partis déjeuner.

Il trouva la porte qu’il recherchait à l’extrémité d’un dédale de couloirs. Une pancarte y était apposée : » Matériaux sensibles. Lampes de poche, cigarettes et boissons chaudes INTERDITES. » Une lampe rouge était allumée.

Dolarhyde appuya sur un bouton ; un instant plus tard, la lumière passa au vert. Il franchit le sas et frappa à la seconde porte.

« Entrez. » Une voix de femme.

Le froid, l’obscurité absolue. Un bruit d’eau qui coule, l’odeur familière du révélateur D-76, un parfum léger.

« Je suis Francis Dolarhyde. Je suis venu pour le séchoir.

— Ah ! oui. Excusez-moi, j’ai la bouche pleine. Je finis tout juste de déjeuner. »

Il entendit le bruit des papiers qu’on froisse et qu’on jette dans une corbeille.

« En fait, c’est Ferguson qui voulait le séchoir, dit la voix dans le noir. Il est en vacances, mais je peux m’en occuper. Vous en avez un à Gateway ?

— J’en ai deux, dont un très gros. Il n’a pas précisé la taille. »

Dolarhyde avait eu l’occasion de lire un rapport à propos de ce séchoir.

« Je suis à vous tout de suite. J’espère que vous avez un instant.

— Oui.

— Mettez-vous le dos à la porte. » Elle prit soudain des intonations de conférencière. » Avancez de trois pas jusqu’à ce que vous sentiez le carrelage. Il y a un tabouret juste à votre gauche. »

Il le trouva. Il était plus près d’elle et pouvait entendre le bruissement de son tablier.

« Merci d’être venu », dit-elle. Elle avait une voix claire, légèrement métallique. » C’est vous qui dirigez le service de développement, hein ?

— C’est ça.

— Vous êtes le » Monsieur Dolarhyde » qui envoie des notes incendiaires quand les fiches sont mal remplies ?

— Celui-là même.

— Je m’appelle Reba McClane. J’espère qu’il n’y a pas de problèmes ici.

— Je ne m’occupe plus de votre labo. Je me suis contenté de travailler à la conception de la chambre noire quand nous avons racheté la société. Cela fait bien six mois que je ne suis pas venu ici. » Une réponse bien longue, plus facile à prononcer dans le noir.

« Encore une minute et je ferai la lumière. Vous avez de quoi mesurer ?

— Oui, j’ai ce qu’il faut. »

Dolarhyde trouvait assez agréable de parler à cette femme dans le noir. Il entendit le bruit d’un sac à main dans lequel on fouille, le claquement sec d’un poudrier.

Malheureusement, la sonnerie du minuteur retentit.

« Ca y est. Je n’ai plus qu’à mettre ca au trou noir ».

Il sentit une bouffée d’air frais et entendit une porte se refermer sur des joints en caoutchouc avant de percevoir le sifflement d’un dépressurisateur.

Dolarhyde porta son poing fermé à sa bouche, se donna un air pensif, puis attendit que la lumière s’allume.

Quand la lumière fut revenue, elle se tenait près de la porte et souriait approximativement dans sa direction. Ses yeux remuaient derrière ses paupières closes.

Il vit la canne blanche rangée dans un coin. Il ôta la main de son visage et lui sourit.

« Vous croyez que je pourrais avoir une prune ? » dit-il. Il y en avait plusieurs sur la paillasse où elle s’était assise.

« Bien sûr, elles sont excellentes. »

Reba McClane était âgée d’une trentaine d’années. Elle avait un visage frais et volontaire, et une petite cicatrice en forme d’étoile sur l’arête du nez. Ses cheveux d’un blond roux étaient coupés à la Jeanne d’Arc, son visage et ses mains étaient couverts de taches de son. Elle était aussi claire qu’un jour d’automne et contrastait agréablement avec le carrelage et le métal de la chambre noire.

Il pouvait la regarder à loisir, l’étudier en toute impunité. Elle ne pouvait détourner les yeux.

Dolarhyde éprouvait souvent de petits chatouillements lorsqu’il parlait à une femme. Ces sensations se déplaçaient sur sa peau en même temps que le regard de la femme. Et si elle ne le regardait pas en face, il était persuadé qu’elle voyait son reflet, quelque part. Il était toujours très attentif aux surfaces réfléchissantes et connaissait aussi bien les angles de réverbération qu’un requin connaît le contour des côtes.

Sa peau était glacée. Celle de la jeune femme couverte de petites taches sur la gorge et à l’intérieur des poignets.

« Je vais vous montrer la pièce où il veut l’installer, dit-elle. Nous allons prendre les mesures. »

Ce qu’ils firent.

« Je voudrais vous demander un service, dit Dolarhyde.

— Oui ?

— Il me faudrait de la pellicule à infrarouges. Quelque chose de très sensible, dans les mille manomètres.

— Il faudra que vous la conserviez au freezer et que vous la rangiez au froid après avoir filmé.

— Je sais.

— Si vous me disiez les conditions de tournage, je pourrais...

— Je filmerai à deux mètres cinquante environ, avec des filtres Wratten. » Cela ressemblait trop à une affaire d’espionnage. » C’est pour le Monde de la Nuit, au zoo, ils veulent filmer les animaux nocturnes.

— Ils doivent être drôlement peureux si vous ne pouvez pas utiliser les infrarouges du commerce.

— Euheu...

— Je vais pouvoir vous arranger ça. Une chose, cependant. Vous savez que la plupart de nos produits sont casés secret militaire. Il faut déclarer tout ce qui sort d’ici.

— Je sais.

— Il vous le faut pour quand ?

— Vers le 20. Pas plus tard.

— Je n’ai pas besoin de vous rappeler que plus la pellicule est sensible, plus elle est délicate à manipuler. Il faut des glacières, tout un tas de trucs. Ils projettent des épreuves vers quatre heures, si ça peut vous intéresser. Vous pouvez prendre l’émulsion la plus douce, ça devrait suffire.

— O.K., je viendrai. »

Reba McClane compta les prunes après le départ de Dolarhyde. Il en avait emporté une.

Un homme étrange, ce M. Dolarhyde. Sa voix n’avait pas manifesté la moindre chaleur ni la moindre sollicitude gênée lorsqu’elle avait rallumé. Peut-être savait-il déjà qu’elle était aveugle. Ou même, peut-être s’en moquait-il complètement.

Voilà qui serait agréable.

Dragon rouge
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